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Tournez la page ! Un film sur la Scop librairie Les Volcans à Clermont-Ferrand
« Pétrir le pain avec indifférence, c’est cuire un pain d’amertume qui ne nourrit qu’à moitié la faim humaine. » Cette phrase lue parmi d’autres dans le film pourrait être la grande leçon de la reprise en Scop de la librairie Les Volcans à Clermont-Ferrand. Au-delà du simple maintien de l’emploi, les ex-salariés ont su créer de nouveaux rapports entre eux et vis-à-vis du travail qui préfigurent un autre horizon que celui de la subordination dans l’entreprise. Un façon de filmer qui nous fait vivre en direct les principales phases de cette reprise.
Un film de plus sur une reprise en Scop ! Voilà ce que nous pourrions penser à l’annonce du dernier film de Marie Serve et Eric Morschhauser sur la reprise de la librairie Les Volcans à Clermont-Ferrand par ses salariés. Et bien, non ! Aucune reprise n’est identique et surtout, les réalisateurs ont su merveilleusement bien se cacher derrière leur caméra et laisser jouer les acteurs de cette pièce en quatre actes. Un peu à la façon de Mariana Otero dans son film Entre nos mains relatant la tentative de reprise de Starissima, sauf qu’ici cela se finit bien. Bien pour les acteurs de cette reprise, bien pour les nouveaux salariés, bien pour les clermontois mais aussi pour nous tous car ils vont nous montrer que reprendre le contrôle de son travail, c’est faisable, que cela fait le plus grand bien et surtout que cette situation devrait être la règle. Le déroulé du film est ponctué par des lectures de textes qui nous imprègnent de l’esprit dans lequel sont les coopérateurs.
Comme dans toutes les reprises en Scop, c’est au départ une question de sauvegarde de l’emploi. L’histoire de la reprise de la librairie Les Volcans trouve son origine dans la faillite en décembre 2013 de Chapitre, cette grande chaîne de 53 librairies. Aucune offre de reprise globale, la chaîne est liquidée. C’est dans ce contexte que 13 des salariés décident de présenter un dossier de reprise au tribunal de commerce de Paris en avril 2014.
Mais très vite, on s’aperçoit que cette démarche entraîne d’autres exigences que de conserver son emploi. Puisqu’il s’agit d’un projet collectif, le groupe n’entend pas se laisser déposséder du suivi des affaires et tient à ce que Martine et Maxime, les dirigeants élus, rendent régulièrement compte de leurs actions. C’en est presque épidermique, l’ambiance du début est électrique. Une ex-salariée décide de quitter le projet. En fait, ces anciens salariés se connaissaient-ils vraiment avant de commencer cette aventure ? Dit autrement, est-ce que les relations de subordination à un patron permettent de construire une équipe ?
Une campagne éclair de crowdfunding où les ex-salariés réunissent 48 000 euros, une décision positive du tribunal de commerce obtenue le 6 juin et c’est parti ! On ressent l’émotion et la fierté des nouveaux coopérateurs lorsqu’ils rouvrent les locaux quatre mois après les avoir eux-mêmes fermés. Les plantes vertes n’ont pas été arrosées. Reprendront-elles ? Tout un symbole. Fini les angoisses du début, l’équipe est à pied d’œuvre pour un nouveau départ. Quoi de mieux que de rénover soi-même des locaux vieillissants ? Le collectif se crée sous nos yeux. Contact immédiat avec les éditeurs. Nouvelles livraisons de livres. Le 10 juillet, c’est l’inventaire. Le 20 juillet, séance de recrutement de 20 nouvelles personnes. Ce n’est plus un directeur des ressources humaines anonyme qui se couvrira vis-à-vis de sa hiérarchie en choisissant les CV les plus fournis mais bien une démarche collective dans laquelle le groupe choisit ses futurs collègues sur fond d’un chômage hélas massif. Les anciens ont conscience que dans cinq ans, dix ans, ils ne seront plus là et qu’il leur faudra des remplaçants : les futurs salariés devront devenir coopérateurs dans un délai de deux ans.
Le 18 août, c’est l’ouverture après bien des heures de travail et sans compter les nuits blanches que Martine avoue. Une véritable fierté pour ces libraires que d’accueillir à nouveau le public six mois après la fermeture. Le film conclut en rappelant qu’un an après, la Scop est en avance de 20 % sur son chiffre d’affaires prévisionnel, qu’elle a créé 38 emplois, que 4000 clients passent tous les jours et que plus de 350 animations ont été organisées dans l’année. C’est bien une autre histoire que celle d’une chaîne commerciale qui veut être « leader sur son segment de marché » que ces coopérateurs sont en train d’écrire. C’est une façon normale de penser le travail, celle d’un don de soi à l’égard des autres. Un grand merci aux salariés de la Scop et aux deux jeunes réalisateurs qui ont su transmettre ce message sans lourdeur ni discours inutile.