Média Matin Québec: un journal produit, vendu et géré par les salariés
A la suite d’un conflit social, les 252 salariés du Journal de Québec, propriété du groupe de média Québecor, sont mis à la porte de leur journal. Ils lancent alors un gratuit pour faire la nique à leur patron, qu’il produisent et distribuent eux-même à 40000 exemplaires pendant 16 mois, avant d’obtenir gain de cause.
Le Journal de Québec, fondé en 1967, appartient au groupe de média Québecor, propriété de PKP (Pierre-Karl Péladeau). En 2007 il tirait à un peu plus de 100 000 exemplaires par jour, l’un des plus gros tirages de Québec, avec un lectorat croissant.
La situation économique de ce journal en 2007 était satisfaisante, avec un profit de 25 millions de $, soit près de 100000$ par employé et par an. Aucun conflit ne s’y était déroulé depuis 40 ans, dans un secteur secoué par une douzaine de conflits dans le seul groupe Québecor entre 1994 et 2007 (cf CUPE).
Les 252 travailleurs (68 employés de bureau, 115 imprimeurs, 69 personnels éditoriaux) sont membres de 3 sections du Syndicat Canadien de la Fonction Publique, le SCFP. Le taux de syndicalisation est élevé au Canada par rapport à la France, avec près de 30% en 2012, et plus particulièrement au Québec (près de 40% en 2012, cf statistiques).
La direction multiplie les manoeuvres en préparation d’un conflit: en 2006, 14 cadres sont embauchés (en plus de la trentaine déjà en poste); une nouvelle rédaction est installée à Toronto dans les locaux du Toronto Sun; une partie de la publicité est délocalisée à Ottawa. De plus, des changements de serrure, la pose de nouvelles caméras de sécurité se produisent. Des petites annonces sont publiées dans la presse au sujet d’une embauche conséquente de personnels de sécurité en prévision d’un conflit social.
La direction entame alors des négociations afin de modifier les conditions de travail:
- passage d’une semaine de travail de 32 heures sur 4 jours (ce qui est la norme dans les journaux francophones) à une semaine de 37.5 heures.
- augmentation de 600% de la police de « group insurance » (une forme d’assurance qui couvre un groupe de salariés).
- en contrepartie, une augmentation de 2.5% des salaires pendant 3 ans.
Les personnels s’expriment et rejettent ce plan à la majorité.
Le conflit
Après l’échec des négociations, la direction instaure le 22 avril 2007 un « lock out » (« grève patronale ») en fermant les bureaux afin de faire monter la pression sur les salariés, et d’isoler d’éventuels grévistes. Cette pratique, interdite en France, est autorisée au Québec. Toutefois le recours à des briseurs de grève lors du lock-out y est interdit.
Les salariés s’organisent, et décident alors de lancer un journal gratuit, Media Matin Quebec. Ils disposent du personnels (rédaction, photographes, monteurs, téléphonistes, personnels administratifs), des savoir-faire, du soutien de l’imprimerie et donc des machines nécessaires
Le tirage reprend alors, avec 40000 exemplaires par jour 5 jours par semaine, au lieu des 100000 et quelques avant le lock-out. La distribution est assurée dans les rues par les salariés eux-mêmes.
Le financement se fait via la publicité, et permet l’achat de matériel, l’organisation de la production et la planification des distributions.
La réaction des propriétaires ne se fait pas attendre: Pierre-Karl Péladeau relance le Journal de Québec avec une nouvelle équipe, en parallèle, ce qui viole les droit du travail. Une première décision de la Commission de relations du travail (CRT) donne tort aux « scabs » (les jaunes); contredite par une décision de la cour supérieure, elle-même suivie d’un appel.
En parallèle, les canadiens soutiennent massivement Media Matin Québec. Les travailleurs du journal sont soutenus moralement et financièrement par le SCFP, qui organise une tournée dans le pays.
Après 16 mois de lock-out, les propriétaires reviennent à la table des négociations, les salariés obtiennent enfin gain de cause…