Argentine : « Zanon est une tranchée dans et pour la lutte de classes »
Interview réalisé lors de sa visite en Europe Entretien. Raúl Godoy est un des dirigeants de la lutte de Zanon, une usine de carrelage de plus de 400 travailleurs en Argentine, connue aussi comme Fasinpat, acronyme de « Fabrique sans patron ». Depuis 2001, à la suite de l’occupation et de la relance de la production, l’usine est sous gestion ouvrière. Raúl est également membre de la direction nationale du PTS (Parti des travailleurs socialistes) et actuellement député ouvrier au parlement provincial de Neuquén pour le FIT (Frente de Izquierda y de los Trabajadores). Interview réalisé lors de sa visite en Europe.
Comment l’histoire de Zanon a-t-elle commencé ?
Notre première bataille a consisté à récupérer le syndicat qui était dirigé par des jaunes. Après avoir remporté les élections, il a fallu convaincre l’ensemble des camarades qu’on devait avoir un programme, un objectif. Désormais, tout devait être discuté en AG, et on défendrait non seulement les céramistes en CDI mais également les précaires, et les délégués seraient révocables.
Le premier grand défi est venu avec le PSE de 2001. Les possibilités étaient d’accepter les indemnités de départ, ou alors de lutter pour le maintien de l’emploi. L’AG a fini par exiger l’ouverture des livres de comptes de l’entreprise pour démontrer que de l’argent, il y en avait. Une grève de 34 jours a été victorieuse. Les travailleurs se sont convaincus qu’ils étaient capables d’empêcher les licenciements et la fermeture annoncée.
Quelle est la particularité de Zanon ?
On a toujours refusé de devenir une SCOP renfermée sur elle-même. D’abord nous avons été à l’initiative d’un mouvement national des entreprises « récupérées », au sein duquel nous défendions la nationalisation sous contrôle ouvrier. Notre slogan était « Zanon appartient au peuple » pour souligner que l’usine n’était pas notre propriété, mais qu’on voulait la mettre au service de la population, notamment à travers la construction de logements publics.
Nous nous sommes liés aux mouvements de chômeurs qui nous ont défendus, notamment lors des tentatives d’expulsion. Lorsque la production a augmenté, c’est à eux qu’on a proposé les premiers emplois créés. On s’est aussi mis d’accord avec la communauté Mapuche pour l’extraction de l’argile, et avec la fac du coin qui a aidé à planifier la production. Nous avons impulsé la Coordination de l’Alto Valle, regroupant les secteurs en lutte de la région, puis un journal, Nuestra Lucha, avec des équipes syndicales combatives de tout le pays. Loin de vouloir « nous sauver tout seuls » ou construire un « îlot de socialisme », Zanon est une tranchée dans et pour la lutte de classes.
Pendant très longtemps nous avons dû fonctionner en totale illégalité. Ça a été une grande discussion car on nous bourre le crâne pour qu’on accepte les lois des exploiteurs, pour qu’on ne remette pas en question la propriété privée… C’est par la discussion et dans la lutte que les copains ont compris que l’essentiel c’est le rapport de forces entre les classes. De ce point de vue, le rôle des militants révolutionnaires a été déterminant pour apporter un programme et une stratégie, sans lesquels Zanon n’aurait jamais été ce qu’elle est.
Comment envisages-tu ton séjour en Europe ?
Nous avons toujours défendu l’internationalisme ouvrier, et l’avons même inscrit dans les statuts du syndicat. Il nous a semblé que le moment actuel, avec la crise qui traverse l’Europe, était particulièrement propice pour des échanges avec des militantEs ouvrierEs. En Grèce, je vais rencontrer les travailleurEs de Vio.Me et en France, au moins ceux de PSA et de Goodyear. Cela me fait plaisir. Si notre lutte peut en inspirer d’autres, notre pari aura été réussi.