Amériques latines : émancipation en construction
Les Cahiers de l’Emancipation, cette Collection de Syllepse qu’anime Antoine Artous, sont par essence un creuset de réflexions essentielles pour notre Association pour l’Autogestion. En témoignent les titres déjà parus dans cette série d’opuscules d’accès facile : Féminisme au pluriel ; Pistes pour un anticapitalisme vert ; Pour le droit à l’emploi; Pour une école émancipatrice. Mais la dernière parution de 2013, portant sur les résistances émancipatrices à l’ordre existant sur le continent latino-américain, est plus directement encore au cœur de nos propres recherches : faire connaître afin de mieux soutenir et étendre les expériences d’auto-organisation populaires qui inventent, dans et contre le « vieux monde » capitaliste en crise, des façons solidaires de lutter qui inventent d’autres possibles.
Coordonnant l’ensemble de cet ouvrage, Franck Gaudichaud souligne la diversité des acteurs en lutte et des situations politiques nationales dans cette Amérique qu’il qualifie d’« indo-afro-latine » pour rompre avec des formules européo-centrées réductrices. Il met en perspective historique les développements récents de cette « ’zône de tempêtes’ du système-monde capitaliste», dont il présente un passionnant panorama (qu’on peut lire mis en ligne par la revue Contretemps). Il dégage quelques « pistes stratégiques » de ce « laboratoire latino-américain », en termes « d’expériences démocratiques, autogestionnaires, participatives et potentiellement émancipatrices » essentielles à nos débats. « En bas, en haut et à gauche – changer le monde en transformant le pouvoir et… la société » : il s’agit-là bien au-delà d’une présentation des articles qui suivent, de réflexions sur le « pouvoir-faire », le « pouvoir-sur » et les « rapports de pouvoir » mais aussi sur les Assemblées constituantes ou les nouveaux mouvements socio-politiques et leurs rapports à des pouvoirs d’Etat soumis à des contradictions.
Les dix autres fort riches contributions de ce recueil se concentrent sur des expériences spécifiques en construction, précaires, conflictuelles, surgissant dans des contextes variés – qu’il s’agisse, au Mexique, des insurrections populaires (Pauline Rosen-Cros) ou des luttes de femmes confrontées à la pire des violence (Jules Falquet), ou bien des enjeux écosocialistes en Equateur (Matthieu Le Quang) ou ceux de l’agroécologie en Colombie (Anna Bednik), en passant par « la Commune du 17 Avril » au Brésil (Flora Bajard, Julien Terrié) et les « sans terres urbains » d’Uruguay (Richard Neuville), sans oublier évidemment, à partir d’études de cas, les enjeux sociaux et politiques du Vénézuela (Mila Ivanovic et Sébastien Brulez) ou les expériences d’usines récupérées en Argentine (Nils Solari). Dans beaucoup de cas traités, les « liens » sociaux et thématiques sont essentiels : liens entre zone urbaines et luttes paysannes/indigènes (loin des schémas ouvriéristes), entre enjeux sociaux, politiques et écologiques, entre producteurs en autogestion et populations voisines solidaires auxquelles des services sont rendus, entre résistances et apprentissages de savoirs nouveaux, entre démocratie directe et représentative… Entre droits conquis et légitimes contre droits dominants, posant des enjeux de consolidation par extension et prise de pouvoir/s…
Sans plus attendre, donc, il faut non seulement lire ce recueil, mais solliciter ses auteurEs pour en débattre avec souvent possibilités de films et d’invitation d’acteurs de terrain en appui de débats passionnants.