Ambiance Bois ou l’aventure d’un collectif autogéré
Un groupe de personnes qui mutualisent leur travail (une scierie), leurs revenus, leurs moyens pour travailler et vivre en autogestion dans la Creuse depuis 25 ans. Synthèse des conversations de 2004 sur leurs principes de fonctionnement. On trouvera par ailleurs une présentation de leur livre particulièrement réussi qui raconte leur histoire et surtout allez sur leur site où ils présentent eux-mêmes leur fonctionnement.
À vingt ans, au lieu de changer le monde, ils décident de changer leur vie et de créer ensemble une entreprise pour y expérimenter d’autres formes d’organisation du travail. Ce sera une scierie Ambiance Bois, qui s’installera en 1988 sur le Plateau de Millesvaches, en Limousin. De fil en aiguille, ce ne sont pas seulement les modalités classiques de production qui seront remises en cause, mais la place que cette dernière occupe dans nos vies. Ainsi les associés d’Ambiance Bois découvriront que « travailler autrement », c’est consommer, agir, décider et finalement « vivre autrement ». Ce livre raconte le chemin parcouru entre l’idée lançée un jour (Et si on faisait une scierie ?) jusqu’à sa réalisation.
Quelle organisation ?
Pour ce qui est de l’organisation du collectif d’une part et d’Ambiance Bois d’autre part : une réunion hebdomadaire du collectif a lieu chaque vendredi toute la matinée (mais où on fait aussi état du planning de travail de la semaine suivante). Une autre est fixée, pour Ambiance Bois uniquement, un vendredi par mois. Enfin, une semaine par an, ils partent tous ensemble, sans les enfants, pour faire un bilan annuel du tout : Ambiance bois, le collectif,… Cette semaine s’est mise en place depuis que chacun a maintenant des enfants, et qu’il est devenu de plus en plus difficile, au fil du temps, de se retrouver tous. Ils partent aussi occasionnellement, quelques fois dans l’année (à raison d’une journée chaque fois) pour faire des sortes de bilans intermédiaires. S’agissant de la hiérarchie, le PDG est totalement formel. En revanche, le conseil d’administration fonctionne. Il se réunit environ trois fois par an. Leur spécificité : ils ne votent jamais. Essaient toujours d’arriver à un consensus.
Comment circule l’information ?
Tout le monde ne peut évidemment pas connaître le détail de chacun de postes. Cependant tout le monde a à sa portée la connaissance des grandes lignes de tous les travaux en cours et de leur attribution du fait d’un système de plannings consultables par tous :
- un planning de travail de la semaine
- un planning des présences aux repas
- un planning des activités perso de chacun (rendez-vous médecins, activités associatives…). Essentiel pour organiser les gardes des enfants et la gestion des voitures. Par ailleurs :
- tableau de gestion des commandes, états des stocks…
- il y a aussi le guide de réunion de la pause de 10 heures : les points essentiels y sont balayés et qui veut/qui a quelque chose à dire arrête le clameur sur le point qui l’intéresse.
- s’ajoutent à cela les réunions listées plus haut. A noter aussi le fait que tous les samedis midi, ils essaient de manger vraiment tous ensemble, sans service enfant, ce qui n’est pas le cas des autres jours de la semaine. Enfin, ce qui entre également dans la circulation de l’information, dans le sens d’une compréhension globale : l’importance du fait de travailler sur différents postes qui permet de connaître les difficultés de chaque poste et donc de pouvoir échanger sur les difficultés et d’y réfléchir ensemble.
Spécialisation des postes ou pas ?
Tout le monde ne tourne pas sur tout – c’est malheureusement impossible à leur échelle, pour des raisons logiques de besoins de suivi et de spécialisation inévitable pour leur secteur d’activité ; cependant, personne ne fait qu’une seule chose. On peut schématiquement dire que tout le monde à un pied à la production et un pied dans l’administratif et tout le monde à un suivi de près ou de loin de presque chaque poste. L’idée est tout de même de lisser au maximum la dichotomie récurrente entre le manuel et le “ bureaucrate ”. La spécialisation des postes est inévitable : sur des travaux extrêmement techniques tels que le délignage du bois, la menuiserie, la comptabilité/gestion ou les travaux de plans d’investissements, il est évident que n’importe quel nouvel arrivant non formé ne peut pas s’y coller.
Egalité des salaires ou pas ?
Le salaire horaire est le même pour tous. Les temps partiels, en revanche varient totalement d’une personne à l’autre (d’une journée à 35 heures par semaine). Ceci a largement changé au fil du temps. Au départ, les temps partiels n’étaient pas effectifs ; ils ne se payaient pas toutes leurs heures, parce qu’ils ne tiraient pas suffisamment de bénéfices. Aujourd’hui, c’est une réalité : ils travaillent moins. Tout le monde est actuellement en CDI. Cependant, ce n’est pas systématique à l’embauche. Du fait du tout collectif, il est en fait nécessaire de savoir si chacun peut s’y retrouver quand de nouvelles personnes intègrent le collectif (ils ne font plus de recrutement en dehors du collectif). Ainsi, tout nouvel arrivant passe par un CDD qui peut-être renouvelé, et quand tout le monde est sûr de la pérennité de la relation, on passe au CDI. Par ailleurs, une cuisine interne est toujours envisageable pour des statuts spécifiques de passage. Ce choix de ne plus embaucher de personnes extérieures au collectif découle du constat flagrant que la gestion collective d’Ambiance Bois ne pouvait plus fonctionner avec des personnes extérieures. Ceci s’était déjà constaté en sens inverse (personnes intégrées au collectif mais qui ne travaillaient pas à Ambiance bois) : Catherine et Anne qui avaient pourtant porté le projet à bout de bras dans son ensemble depuis le début, mais qui ne travaillaient alors pas encore à la scierie se sont rapidement rendues compte qu’elles étaient peu à peu mises à l’écart du reste du groupe : écartées du terrain, elle l’étaient de fait également des discussions. Ils comptent leurs heures sur chaque boulot. Ils ont une compta analytique. Nécessaire pour établir leurs prix de revient. Depuis le début, ceux-ci ont d’ailleurs ont énormément baissés. Gains énormes liés à leurs travaux d’investissement.
Quelle structure juridique ?
Une SAPO (Société anonyme à participation ouvrière). Pour résumer l’originalité du statut (seulement une centaine d’entreprises de ce type en France) : il existe une rémunération des actions de travail au même titre que celles des actions de capital. Clairement la propriété de l’entreprise est collective. Ceux qui n’ont pas mis d’argent dans son capital ont néanmoins leur mot à dire de la même façon que les autres. (Voir descriptif du statut dans leur livre et dans les outils de la base documentaire de ce site) Pour le reste, la propriété de la plupart des biens est également collective. Pour cela ils jonglent avec plusieurs structures : CRISE, l’association propriétaire du presbytère, d’autres locaux et de la plupart des véhicules et assurances correspondantes, terrains et autres choses communes, ainsi qu’une SCI (société coopérative d’investissement) pour la propriété de GUISE (leurs nouveaux locaux comprenant la nouvelle cuisine collective) qui là n’appartient pas à l’ensemble du collectif, mais seulement à 6 personnes. Il s’est trouvé être plus intéressant là, de procéder ainsi du fait de possibilités d’aides financières à la restauration que ce statut permettait contrairement au statut associatif. Il s’agit donc d’un simple montage financier puisqu’au final, du fait de la collectivité des ressources, tous ont acheté ces locaux, ce ne sont que des noms formels qui apparaissent sur l’acte de propriété. La location de GUISE est en effet fictive puisque l’argent tourne en cercle fermé.
Qu’est-ce qu’on fait des excédents ?
Le conseil d’administration décide de l’utilisation des excédents. Plusieurs possibilités :
- affectation au report à nouveau
- verser des dividendes : aux actionnaires en capital d’une part ; aux actionnaires de travail d’autre part par le biais de la société coopérative de travail qui se charge de décider de leur utilisation. En fait, ce n’est que depuis quelques années que la société dégage suffisamment de richesse pour pouvoir rémunérer en dividendes les travailleurs. Cependant, les années précédentes, le conseil avait donc décider de l’attribution de primes de travail afin de marquer une valorisation. Ceci a fait l’objet de débats animés avec les salariés. Ceux-ci voulaient, en contre partie, de la non rémunération de leurs parts de travail, des hausses de salaires alors que pour l’ensemble des membres du collectif, l’objectif était de travailler moins. Ce système de primes de travail a ainsi été instauré en guise de demi mesure, mais pour cela il a fallu travailler plus afin de pouvoir dégager cet argent (reflète encore une fois l’illogique du système intégrant des salariés extérieurs au collectif).
Le poids des membres fondateurs et des mythes fondateurs ?
A priori il n’y a pas de “ dictature ” des valeurs et fonctionnements fondateurs. Le projet évolue totalement au fil du temps et chaque personne qui arrive apporte et fait évoluer les choses. Selon eux : tout peut toujours être remis en cause. Au début, par exemple, il leur apparaissait essentiel de vivre tous ensemble ; par la suite, avec la naissance des premiers enfants, il est apparut au contraire qu’il était important de ne plus l’être. Avant toute chose, l’essentiel est que chacun s’y retrouve et se sente au mieux. Cependant, il y a des choses sur lesquelles il n’est pas vraiment question de revenir (comme la mise en commun des revenus). Il y a tout de même une base commune de valeur à laquelle les nouveaux arrivants doivent forcément adhérer. Reste donc à savoir jusqu’où on peut aller dans la remise en cause des choses.
De l’affect dans les relations ?
Evidemment. Mais ils évitent autant que possible un mode de fonctionnement fusionnel et essaient de faire la part objective de chaque problème.
Parlez-vous de votre fonctionnement à l’extérieur ?
Ils ont au quotidien une diffusion informelle de leur valeurs et fonctionnements. C’est une diffusion occasionnelle, en fonction de la personne en face… Pas de systématisme, mais tout de même une démarche volontariste. Ils ne refusent jamais la sollicitation de journalistes (contrairement au GAEC de Vialaret qui refuse quasiment totalement toute communication sur Repas ou leur fonctionnement interne par méfiance absolue envers la presse ; une sélection drastique est appliquée). Ambiance Bois, eux, ne passent pas à côté des occasions et, autant que possible, ne les attendent pas : ils ont été les premiers à publier un livre sur leur expérience. L’idée : parler eux-mêmes d’eux-mêmes. Par ailleurs, des visites réguliéres de la scierie débouchent souvent sur des discussions autour de leur fonctionnement. Il n’y a pas de règle, mais les discussions dérapent plus ou moins systématiquement (sur la région, le budget, le fonctionnement). Trois/quatre points sont en général développés, séparément ou pas : le fonctionnement coopératif de l’entreprise, le développement local, la scierie stricto sensu, le collectif. C’est toujours très difficile pour eux de séparer les deux projets (scierie et collectif), mais souvent ils ne peuvent parler que du projet de coopératif de l’entreprise ou du développement local.
Contribuer au développement local ou à la vie de quartier ?
La notion de développement local n’était absolument pas à l’origine du projet. Mais avec le projet de bois, dans une des régions forestières les moins favorisées (en dessous du seuil de désertification), ils se sont vite sentis intégrés dans un environnement sur lequel ils pouvaient influer et par lequel ils étaient aussi conditionnés. Très vite, avec les engagements associatifs de chacun, avant même qu’Ambiance bois ne voit le jour, c’est devenu une logique défendue par tous.